NOUVELLE MELANCHOLY
6 octobre au 5 novembre 2022
Associer la peinture à l’objet sculpture n’est pas chose aisée. Il faut établir un rapport de confiance spatiale, de connivence coloriste et de résonances formelles afin que l’univers aplani du peintre – Maxime Testu - se marie aux petites masses façonnées par la main de l’artiste et designer – Hélène Labadie. Mais ces deux-là se comprennent si bien que l’intelligence des signes devient conversation secrète. Leurs récits créatifs s’apparentent à de véritables « affinités électives », de celles qui ont l’aisance des intuitions sans âges, à classer au registre des évidences. Ce dernier terme, soulignons-le, pouvant désigner ces instants de vie si pénétrants qu’ils ont le pouvoir magique de faire se rencontrer deux destinées artistiques ou amoureuses.
Hélène et Maxime donc, créent, écrivent, rêvent et partagent : la même passion pour Nick Cave et la pop mélancolique, pour Franz West et ses exubérances sculpturales, pour Thomas Schütte et ses métamorphoses physiologiques ou encore pour les cartoons et leurs aventures visuelles.
Chez Maxime Testu, c’est dans la peinture que ces références discrètes infusent, bien que supplantées par un amour inconditionnel pour l’expressionnisme. Le peintre n’hésite pas à rendre « tribute » à Kirchner et au groupe du Blaue Reiter dans des compositions similaires à de sagaces réarrangements musicaux. Doublées d’une géniale décomplexion dans le style. Les couleurs éclatent, gorgées de matière et d’un ténébrisme fauve. Sa touche onctueuse le mène sur les chemins de l’histoire picturale d’une partie des avant-gardes, déjà pétrie, comme lui, de comics et de narration solaire. Mais là où le jeune artiste se démarque, c’est dans l’irréductible présence de la rêverie et de la fiction au creux de motifs en apparence naïfs et dans son étonnante facilité à glisser vers un grotesque tendre et jouissif. On y perçoit son admiration pour Philip Guston, dont il dit d’ailleurs : « Je reviens toujours à lui, il est un jalon qui me permet sans cesse de me remettre en question ». Peut-on y voir une autorisation à déconstruire ? Car Maxime Testu, au-delà de ses inspirations obsessionnelles, invente aussi, ce qui rend sa création d’autant plus intéressante. Loin de se contenter de la toile peinte, il expérimente la plaque de métal comme support à ses huiles, matériau dont il aime la brillance et le caractère brut qui lui permet de créer ce qu’on pourrait appeler des « peintures-objets ». Plaques qu’il se plaît à assembler à l’aide de rivets laissés apparents et dont les minuscules têtes s’intègrent à la composition des œuvres. Faisant écho, dans une dimension machiniste, aux traces noires de l’encre qui semblent gratter le métal et opèrent comme des tourments sous-jacents, indélébiles. Habilement, l’artiste mêle la technique du monotype gravé à la peinture, celle-ci s’étirant en portraits déformés ou en vases amoncelées à l’embonpoint généreux et malicieusement anthropomorphes.
Cette manière de fantasmer son médium et de fictionner les images - en laissant un rôle capital au support - se retrouve chez Hélène Labadie. Attentive à l’objet domestique, qui reste la trame essentielle de son travail d’atelier, elle tend cependant à en transcender la fonction vers l’objet-sculpture, doté d’une âme et source inépuisable d’imagination. Ses œuvres, ici des lampes, des abat-jours, des tabourets et des cendriers - dont elle travaille la céramique pour en retirer un aspect plus ou moins léché, plus ou moins « crafty » - manifestent un intérêt similaire pour la pop-culture et les gourmandises formelles propices à construire un univers auto-fictionné, comme avait si bien su le faire un Jacques Monory. Dans ses microarchitectures et ses dessins sur papier, se mêlent avec bonheur les codes du polar hollywoodien et du design de Gaetano Pesce. A travers la lumière de ses abat-jours se révèle par exemple la silhouette de décors inspirés de scènes de films ou de romans, à l’instar de la lampe « Un mort à Paris », clin d'œil au roman Mémoire courte de Nicolas Rey. L’artiste souhaite qu’on y perçoive son carnet de voyage personnel, celui de ses inspirations quotidiennes.
On comprend alors que l’univers de Maxime rejoint celui d’Hélène dans une intuition commune : construire des canevas visuels imaginaires qui sont aussi des fils à tirer pour y déceler le récit d’une histoire de l’art plus confidentielle, vue par le prisme des amitiés d’artistes et des références intimes que l’on partage au sein d’un groupe d’alter égo éveillés. Leurs œuvres, scénographiées en résonnance, à la manière de micro-décors de cinéma, peuvent aussi évoquer les aspirations du Bauhaus, quand les frontières entre les arts n’avaient plus cours.
Ici, dans cette exposition, l’inspiration expressionniste de Maxime, le penchant nostalgique d’Hélène, prennent ensemble le chemin d’une nouvelle poétique, accrochée à des icônes sur le beat d’un blues à fleur de peau, non sans digressions humoristiques. Une « Nouvelle Melancholy » - expression dont on affublerait bien un nouveau courant artistique qu’il resterait à inventer.
Julie Chaizemartin